La prise de rôle : paroles d’interprètes

Selon Isabelle Launay, la qualité d’une interprétation tient dans un paradoxe fécond : s’inscrire dans une tradition que l’on souhaite ne pas trahir, sans pour autant lui obéir ; créer un moment inoubliable qui s’inscrive dans la série des interprétations mémorables, mais en tentant de les faire oublier. S’appuyer sur l’expérience passée sans la répéter. La marge de manœuvre de l’interprète est complexe et subtile.

Mais quelle que soit l’approche, il s’agit toujours d’un événement en soi, attendu par tous, une soirée notable dans la carrière d’un danseur et dans la série des variations d’un rôle qui constitue la mémoire d’un ballet.

S’approprier son rôle et l’interpréter à sa propre manière nécessite une recherche longue et guidée. Selon le vécu, la personnalité, l’âge, on nourrit différemment son personnage. C’est ce qu’affirme Françoise Legrée, en prenant pour exemple son expérience des rôles de Giselle, mais aussi des Cygnes noir et blanc du Lac.

Extrait du stage "Parole d’interprète, écriture de la danse" animé par Fabienne Ozanne-Paré et Françoise Legrée, CND, 2005.

La danseuse étoile Wilfride Piollet [1] a une approche différente de ces rôles : elle dit être à l’aise avec Giselle et le Cygne blanc, mais sent qu’elle « fait semblant » avec le Cygne noir.

Extraits de l’entretien de Wilfride Piollet conduit par Florence Poudru, CND, 2003.

L’une et l’autre abordent également leur relation aux chorégraphes dans ce moment essentiel qu’est la prise d’un rôle : elles apprécient ceux qui, comme Maurice Béjart ou Merce Cunningham, laissent aux danseurs de l’espace pour s’exprimer et acceptent l’approche de l’interprète.

Montage d’extraits des entretiens avec Wilfride Piollet et Françoise Legrée conduits par Florence Poudru, CND.

Kader Belarbi [2], danseur étoile, partage quant à lui son expérience de l’interprétation. Le rôle d’Albrecht, contrairement à d’autres plus superficiels, permet un travail à tous les niveaux et implique de chercher en soi ce que l’on peut exprimer intimement et personnellement. Il insiste aussi sur l’importance du costume qui, dès qu’il est enfilé, change les gestes et influe sur l’interprétation.

"Le prince par Kader Belarbi", réal. Valérie Urréa, 2005.



[1Wilfride Piollet (1943-2015), « petit rat » à l’école de danse de l’Opéra de Paris, se voit confier par Maurice Béjart son premier rôle de soliste dans Noces en 1965. Elle est nommée danseuse étoile en 1969. À l’Opéra et dans le monde entier, elle interprète les grands rôles du répertoire classique et néoclassique, puis s’ouvre aux créations contemporaines (Merce Cunningham, Lucinda Childs, Andy De Groat, Dominique Bagouet…). Elle reconstruit certains grands ballets du répertoire et continue la création chorégraphique sous de petites formes. Elle développe également une méthode pédagogique d’enseignement de la danse : la méthode des « barres flexibles », sur laquelle elle publie deux ouvrages en 1999. En 2007, sur le site lesbarresflexibles.fr, elle met en ligne la série « Les gestes de Lilou », visant à transmettre aux enfants certaines notions fondamentales de danse. De 1989 à 2008, elle enseigne au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris.

[2Kader Belarbi (1962-…) entre à l’école de danse de l’Opéra de Paris en 1975. Premier danseur en 1989, il est remarqué par Rudolf Noureev qui le nomme étoile la même année, à l’issue d’une représentation de La Belle au bois dormant. À 46 ans, en 2008, il fait ses adieux à la scène. Il danse pour la dernière fois sur la scène de l’Opéra de Paris, en compagnie de la danseuse étoile Marie-Agnès Gillot, le ballet Signes de la chorégraphe Carolyn Carlson. En 2011, il est nommé directeur de la danse au Théâtre du Capitole à Toulouse.