Le plaisir subtil de la variation

Le regard du spectateur joue aussi un rôle essentiel, précise Isabelle Launay. La tradition du ballet, en effet, vit sous la condition d’entretenir le plaisir subtil de la variation chez un public plus ou moins connaisseur, qui goûte la différence dans la répétition.

Au-delà de la sociabilité propre à une sortie à l’Opéra, l’amateur de ballet se rend souvent au théâtre pour admirer tel ou tel danseur, plus que pour découvrir un chorégraphe. Il y a évidemment l’émotion que peut susciter le ballet, mais pour que l’attente soit satisfaite, il faut aussi une part vitale : l’inattendu, la surprise.

Flore et Zéphyr : « Flore déplore l'absence de Zéphyr. » Gravure d'Edward Morton, d'après un dessin de Théophile Wagstaff [pseud. de William Makepeace Thackeray], Flore et Zéphyr, 1836.

Le cinéaste Dominique Delouche décrit précisément la nature de cette attente de l’amateur de ballet : « On connaît les pas par cœur, on se demande comment la danseuse va les faire, est-ce qu’elle va faire mieux qu’avant ou moins bien, il y a donc cette espèce de suspens extraordinaire […] à observer, cette fragilité de composition [1]. » La question n’est pas de savoir si un ballet est important mais d’en apprécier la singularité parmi d’autres qui lui ressemblent.

Par-delà le goût de la surprise, l’amateur se fait aussi le gardien d’une tradition que le ballet incarne à ses yeux et dont le ballet "Giselle" offre un parfait exemple. En 1934, Léandre Vaillat, au fil d’une chronique consacrée à l’exposition "Anna Pavlova", revient ainsi sur l’interprétation de la danseuse des Ballets russes en 1909. Il dénonce vivement le costume novateur proposé par Léon Bakst à l’acte II :

« (...) au deuxième acte, une chemise blanche, souple, à l’antique, laissant nus les épaules, les bras et les jambes, accompagnée d’une branche de lys. Loin de moi la pensée de critiquer notre cher et grand Bakst ! (...) Théophile Gautier et Heinrich Heine, ont voulu montrer dans les Willis, ces fiancées mortes, de purs esprits. Le costume classique, en son abstraction même, (...) convient à l’expression d’une manière de corps astral, se mouvant, silencieux, dans le temps et dans l’espace. La chemise adoptée par la Pavlova introduit des pensées mortelles dans un rêve d’immortalité. » [2]

Voir l'article complet

Léandre Vaillat, "Chronique théâtrale : Terpsichore 1934", Le Temps, 24 septembre 1934.



[1Dans son film sur Yvette Chauviré, Yvette Chauviré : une étoile pour exemple, Les Films du Prieuré, 1988.

[2Léandre Vaillat, "Chronique théâtrale : Terpsichore 1934", Le Temps , 24 septembre 1934. Voir aussi : inventaire du fonds d’archives Léandre Vaillat