Mes carnets

Moteurs principaux.
Avec l’âge, ma mémoire n’est pas toujours au rendez-vous. Ces carnets sont juste des traces du flux de tous les jours.
Des états du cerveau avant, pendant et après les répétitions. Chatouiller mon cerveau. Je n’ai pas peur de la page blanche. Je trouve ça plutôt excitant.
Pour moi, Gertrude a tout dit quand elle expliquait le problème éternel du décalage entre le temps dans une création et le temps de tous les jours.

Avant mon accident, j’ai beaucoup dessiné. Comme je respire.

Carnets, donc. Des tonnes. De toutes sortes. Avec des idées chorégraphiques, de costumes, de « décoration », des articles des journaux, des remarques, des lettres à des amis, des blagues. Le cerveau est un muscle. Je travaille divers éléments encore et encore. Et encore. Même si je crois savoir ce qui se passe. Et je trouve parfois des choses que je n’avais pas considérées. Contempler un espace théâtral particulier, une architecture ou un groupe de personnes me donne des idées. Je dessine ce que j’appelle des « partitions », diverses manières de transformer une composition en graphisme pour mieux l’entendre, et je comprends sa structure, ses sons, ses temps, ses intervalles, son atmosphère. Alors je les intègre dans des propos chorégraphiques. Je cherche des clefs, des signes, des éléments essentiels, des priorités, des durées, même si, en travaillant, certains de ces éléments diminuent ou disparaissent. Je cherche des supports structurels, à établir, au moins, pour commencer, une colonne vertébrale. Des poutres porteuses. Ces « sous-vêtements » ne sont pas toujours destinés à être vus. Il y a là quelques-uns donc de mes tics de composition. Mais tout est lamentation, prières et lettres d’amour.

En ce qui concerne mes pièces, je préfère de loin qu’elles « parlent » pour elles-mêmes.

Des juxtapositions, des contradictions. Des parenthèses pertinentes qui, à première vue ne semblent pas toujours marcher ou coller. La rencontre d’un mythe avec une histoire personnelle, par exemple, ou vice-versa. Des morceaux d’un puzzle. Des réflexions de l’esprit. Un style vieux jeu d’activité cérébrale, je veux dire : avant l’invention de l’ordinateur. Faisant exprès de surcharger un propos, testant ses limites, appréciant non seulement ce qu’on voit ou ressent, mais aussi ce que ça génère et donne malgré soi.

Par moments, l’impression... bingo !... d’avoir « gagné ».

J’essaye de développer TOUTES mes considérations EN MÊME TEMPS et, au moins pour commencer, de traiter tous les éléments de manière EGALE. Un danseur ou un comédien en particulier, comment et où quelqu’un bouge dans l’espace, une architecture donnée, l’« obligation » d’une musique, ou un scénario entrant dans le jeu de la composition. Je dépends en partie de ma muse, mais le truc, c’est qu’elle ne vient pas quand je l’appelle. Elle vient quand ça lui chante. Puis elle disparaît soudainement sans prévenir, sans même prendre le temps de dire : au revoir. J’espère être prêt, et j’accepte d’essayer de rattraper ce qu’on n’attrape pas. Des portraits super imposés, comme des photos doublement exposées ou comme une peinture de Francis Bacon, des face à face avec une belle musique, des situations et émotions réelles, créées, imaginées. Des abstractions musicales. Ça a l’air de quoi ? Comment le sent-on ? D’où cela vient-il ? Composer. Contempler des images. Trouver les « bonnes », pas forcément ce qui est « logique ». Partir sur une restriction imposée, pour laquelle la solution sera une surprise. En cherchant vérité et justice. On a parfois l’illusion qu’on les a trouvées. C’est sérieux, ou juste une blague ? Et s’ils nous interdisent le premier degré, OK ?

Allon ! La langue dans la joue, les deux en même temps.