Présentation

La journée d’étude « Du tutu à l’académique, de la posture classique à la revendication néo-classique ? » s’est déroulée le mardi 22 janvier 2019 au Centre national de la danse à Pantin de 9h à 20h au studio 14. Ce dossier en ligne en retrace les principales interventions.

Qu’est-ce que la danse néo-classique [1] ? « Du contemporain qui lève les jambes » ? Une technique classique libérée ? Modernisée ? Cette journée d’étude a eu pour objectif de questionner l’histoire, les usages et la pertinence esthétique du terme « néo-classique » en danse, comme sa place au sein de la recherche actuelle. La démarche de chorégraphes, observée au travers de présentations et de témoignages, a permis d’interroger le sens et les résonances du mot « néo-classique » dans le champ chorégraphique français et international depuis 1945.

Cette journée s’inscrit dans un mouvement d’essor des travaux portant sur la danse classique et néo-classique au sein de la recherche universitaire , mais aussi dans un moment où les acteurs de la danse classique gagnent en reconnaissance institutionnelle et universitaire [2]. Peut-être ces phénomènes témoignent-ils d’une détente historiographique dans ce que l’on a pu appeler la « querelle des anciens et des modernes » en danse, ou d’un apaisement axiologique, alors que les lignes de partage entre classiques et contemporains seraient de plus en plus perméables. C’est ce que suggère par exemple Geisha Fontaine à l’entrée « Néoclassique » de ses 100 mots de la danse, un ouvrage publié en 2018 dans la collection « Que sais-je ? » : « les oppositions entre anciens et modernes s’adoucissant, chaque style a désormais sa place [3] ». Cet « adoucissement » de la confrontation entre « anciens » et « modernes », entre classiques et contemporains, nous semble du moins être une piste à interroger.

L’intitulé choisi pour cette journée, « Du tutu à l’académique, de la posture classique à la revendication néo-classique ? », est sciemment formulé comme une interrogation, car toute une série de questions se posent au seuil de ce sujet de réflexion.

Au plan esthétique tout d’abord, quelle serait la spécificité esthétique du néo-classique, notamment par rapport au classique ? Réside-t-elle seulement dans l’accessoire, ou bien aussi dans une technique et dans une recherche esthétique particulières ? Comment les classiques entrent-ils dans la modernité, ou encore comment s’en emparent-ils ? Cela pose alors la question des modes d’hybridation entre classiques, modernes et contemporains en danse : doit-on parler d’assimilation, d’appropriation, de recyclage, de métissage ?

Au plan historique et politique ensuite, quels sont les enjeux politiques et institutionnels de l’emploi de cette notion ? Le terme néo-classique, qui a pu être une étiquette employée pour stigmatiser ses cibles, serait-il à un moment donné devenu une revendication chez certains chorégraphes ? La notion est-elle aux prises avec une forme de militantisme artistique ? Que dit-elle en outre d’un possible questionnement vis-à-vis de l’héritage ou de la tradition classique ?

Au plan médiatique, encore, est-ce que le terme néo-classique est employé uniformément par la presse et les acteurs du milieu (danseurs, chorégraphes, artistes, institutions) ? Est-il avant tout employé en France ou bien a-t-il aussi une pertinence ailleurs, en Europe, aux États-Unis ?
Enfin, la question du néo-classique se pose aussi au plan pédagogique, quant à l’articulation entre la classe et la scène, entre l’enseignement et la création chorégraphique, qui nous semblent des moments de passage où toute une recherche reste encore à développer.

Voici donc quelques-uns des enjeux que soulève ce terme et que nous nous sommes efforcés d’aborder, éclairés par les communications des différents invités. Cette première journée d’étude permit de poser quelques jalons et d’ouvrir des pistes qui seraient à approfondir, alors que vient de paraître un ouvrage de Mark Franko [4] retraçant l’émergence du néo-classicisme dans les années 1920-1930 et ses enjeux esthético-politiques, tout particulièrement autour de la figure de Serge Lifar.

Nous présentons dans ce dossier en ligne les ressources issues de cette journée de réflexion : trois articles scientifiques à lire (consultez le travail de Florence Poudru, Gianfranco Vinay et Patrizia Veroli), la présentation d’un fonds récemment déposé au CND (consultez l’article de Sylvie Jacq-Mioche), et deux documents sonores à revivre (écoutez la table-ronde des danseurs du Groupe de recherches chorégraphiques de l’Opéra de Paris et l’intervention scénarisée de Thierry Malandain à partir de son propre travail artistique). Que tou·te·s nos invité·e·s soient ici chaleureusement remercié·e·s pour leur contribution à cette journée, et à ce dossier.

Laetitia Basselier, Stéphanie Goncalves,
Lucile Goupillon, Camille Riquier Wautier.




Laetitia Basselier est agrégée de philosophie et prépare un doctorat de philosophie sur la danse classique à l’université de Lille, sous la codirection d’Anne Boissière et de Roland Huesca. Dans le cadre de son doctorat, elle a enseigné de 2016 à 2019 au département arts/danse de l’université de Lille. Elle est depuis 2019 ATER en philosophie de l’art à l’UFR de philosophie de Sorbonne Université. Ses recherches portent sur la philosophie de la danse ainsi que sur la diversité des esthétiques chorégraphiques (néo-)classiques aux XXe et XXIe siècles.

Stéphanie Gonçalves est historienne. Experte invitée à l’Université libre de Bruxelles (ULB), enseignante vacataire au Conservatoire d’Anvers et à la Faculté catholique d’Angers, elle a soutenu en 2015 une thèse portant sur la diplomatie culturelle du ballet pendant la Guerre froide à l’ULB (Danser pendant la guerre froide, 1945-1968, Presses universitaires de Rennes, 2018). Elle est spécialiste du lien entre danse et politique au XXe siècle et s’intéresse en particulier aux circulations transnationales des danseurs, notamment les danseurs soviétiques. Son dernier projet de recherches soutenu par le Fonds national belge de la recherche scientifique (2016-2020) a porté sur Maurice Béjart.

Lucile Goupillon, danseuse, professeur de danse classique titulaire du CA, prépare un doctorat en arts et langages à l’EHESS (Paris) sous la codirection d’Esteban Buch et Elizabeth Claire. Ses recherches se concentrent sur la figure et le travail du chorégraphe William Forsythe au travers de la notion de « déconstruction ». À partir de cette approche il s’agit de questionner un moment de conflit esthétique dans l’histoire de la danse et les possibilités d’hybridation qui en découlent. L’enjeu de son travail est également de mettre au jour le rapport libertaire du chorégraphe face à un répertoire, une technique et l’acte même de chorégraphier.

Camille Riquier Wautier a consacré sa thèse de doctorat aux ballets littéraires des chorégraphes néo-classiques, et notamment au travail mené par Roland Petit et John Neumeier à partir de leurs lectures. Ancienne élève de l’École normale supérieure de Lyon, agrégée de Lettres modernes depuis 2013, elle a été chargée de recherches documentaires à la Bibliothèque-musée de l’Opéra Garnier (Bibliothèque nationale de France) et chargée de cours à l’université de Strasbourg entre 2016 et 2020.



[1Les deux orthographes néoclassique (sans tiret) et néo-classique (avec tiret) ont été utilisées par les différents auteurs de ce dossier. Il existe, en effet, un débat sur l’orthographe de l’adjectif : les dictionnaires Le Robert, Le Larousse et L’Académie française privilégient la version sans tiret tandis que le Trésor de la langue Française (TFL) l’écrit avec tiret (cf. https://www.cnrtl.fr/definition/néo-classique). Des historiens de l’art l’écrivent également avec tiret. Le consensus général porterait ainsi plutôt à utiliser la version sans tiret. Les autrices de l’introduction ont, en revanche, choisi la version avec tiret pour souligner la dimension postérieure et nouvelle par rapport au « classique »

[2Parmi d’autres, citons par exemple la publication récente des ouvrages de Stéphanie Gonçalves, 2018, Danser pendant la guerre froide, 1945-1968, Rennes, Presses universitaires de Rennes, de Bénédicte Jarrasse, 2018, Les Deux Corps de la danse, Imaginaires et représentations à l’âge romantique, Pantin, Centre national de la danse, et d’Isabelle Launay, 2017, Poétiques et politiques des répertoires. Les danses d’après, I, Pantin, Centre national de la danse, ou la thèse de Laura Cappelle, 2018, « Nouveaux classiques. La création de ballets dans les compagnies de répertoire », thèse de doctorat de l’université Sorbonne Paris Cité, université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, 20 décembre 2018.

[3Geisha Fontaine, « Néoclassique », in Les 100 mots de la danse, 2018, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », p. 69-70.

[4Mark Franko, 2020, The Fascist Turn in the Dance of Serge Lifar. Interwar French Ballet and the German Occupation, Oxford, Studies in Dance Theory.