Archives sonores de Lise Brunel

Quelques rencontres remarquables entre 1969 et 1986

Les pionniers de la danse moderne en France

À bâtons rompus avec... avec Jacqueline Robinson, 22 novembre 1999 (60’)

Réalisé en novembre 1999, cet entretien de Lise Brunel, accompagné de son fils Fabrice Dugied (1963-2016) [1], avec la danseuse, chorégraphe et pédagogue Jacqueline Robinson (1922-2000) est un témoignage précieux de l’une des figures fondatrices - avec Françoise et Dominique Dupuy, Karin Waehner ou encore Jerome Andrews - de la danse moderne en France.

Véritable “conversation à bâtons rompus”, selon les propres mots de Lise Brunel, l’entretien se déroule dans une ambiance très amicale et bienveillante, probablement au domicile de Jacqueline Robinson, quelques mois seulement avant sa disparition en juillet 2000 [2]. Lise Brunel recueille la parole de la chorégraphe dont les souvenirs se confondent avec l’émergence de la danse moderne en France dans les années 1950 et 1960.

L’interview démarre sur l’évocation de la chorégraphe Laura Sheleen (1926-…) et notamment la soirée intitulé "Le Théâtre de la danse contemporaine" [3] que cette dernière avait organisée en 1956 au Centre américain et pour laquelle Lise Brunel a écrit une de ses toutes premières critiques dans la revue La Danse [4].

Puis la journaliste interroge Jacqueline Robinson sur ses débuts, notamment au moment de son retour à Paris, en 1947, après plusieurs années passées à Dublin auprès d’Erina Brady (1891-1961), disciple de Mary Wigman (1886-1973). L’artiste se souvient des spectacles qu’elle organisait alors avec ses élèves au Studio du Val de Grâce [5]. Elle parle aussi de ses collaborations plus ou moins éphémères avec les chorégraphes modernes de l’époque. Elle explique comment, en juin 1947, elle fut littéralement débauchée par Jean Weidt (1904-1992) alors qu’elle venait de participer avec Mila Cirul (1909-1977) au concours des Archives Internationales de la danse à Copenhague puis finalement congédiée de la compagnie au bout de trois semaines avec son amie la danseuse irlandaise June Fryer (1926-2011). Elle raconte ensuite ses rencontres avec Jacqueline Levant (1926-….), dont elle suit les cours à l’E.P.J.D. [6], et avec Ludolf Schild (1913-1949) [7]. "J’avais travaillé dans une école Wigman en Irlande. Je ne me sentais pas en pays étranger avec Schild" déclare-t-elle tout en avouant n’avoir plus aucun souvenir précis de son enseignement. Lise Brunel, qui a elle-même dansé avec le chorégraphe allemand, se rappelle alors avec enthousiasme de ses cours d’improvisation et de composition.

Après une évocation de Pierre Tugal (1883-1964) [8], directeur des Archives internationales de la danse où Jacqueline Robinson, alors élève d’Yvonne Redgis [9], fait ses premiers pas sur scène en 1935, l’entretien s’attarde sur différentes personnalités et structures qui ont joué un rôle important dans le développement de la danse moderne à Paris : le studio 121 de la salle Pleyel, la journaliste Dinah Maggie et l’A.F.R.E.C. (Association française de recherches et études chorégraphiques) [10] ou encore le journaliste et critique Jean Dorcy (1898-1978) fondateur de l’association Danse et culture [11]. Au fil de la discussion, elle évoque aussi ses collaborations artistiques avec, notamment, Karin Waehner (1926-1999) ou encore Françoise (1925-....) et Dominique Dupuy (1930-....).

Tout au long de l’entretien, Jacqueline Robinson souligne les mauvaises conditions de vie des danseurs rappelant régulièrement la grande pauvreté dans laquelle étaient plongés les artistes dans les années 1950 [12]. Malgré le développement d’un réseau de diffusion depuis les années 1970, Fabrice Dugied témoigne, de son côté, des grandes inégalités encore présentes dans le milieu chorégraphique en cette fin des années 1990. A cette occasion, il signale la création récente du collectif des danseurs "Signataires du 20 août" [13].

Vient ensuite la question des lieux dédiés à la danse. Bien avant le Regard du cygne ou la Ménagerie de verre, Jacqueline Robinson rappelle comment, l’Atelier de la danse, qu’elle fonde en 1955, fut un lieu d’avant-garde et d’accueil pour toutes sortes d’artistes.

Enfin, la question de la mémoire et de l’histoire de la danse est omniprésente dans l’entretien. C’est grâce notamment à toute sa documentation, conservée précieusement depuis 1942 [14], que Jacqueline Robinson a pu écrire L’aventure de la danse moderne en France qui constitue, encore aujourd’hui, un ouvrage de référence sur le sujet.

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Extrait d’une plaquette de présentation, [s.d.]
Dossier documentaire Jacqueline Robinson - Médiathèque du CN D



[1Les archives artistiques de Fabrice Dugied ont été déposées à la Médiathèque du CN D.

[2Le 31 octobre 1999, Lise Brunel assiste, à la Cinémathèque française, à une soirée en hommage à la chorégraphe, organisée par le CN D en collaboration avec la Cinémathèque de la danse, où un documentaire autour de sa carrière, réalisé par son ancienne élève Nathalie Collantes et intitulé Le livre ouvert, est projeté. Entre juin 1999 et janvier 2000, cette dernière réalise une série d’entretiens filmés avec Jacqueline Robinson qui sont consultables en intégralité sur la vidéothèque de la médiathèque du CN D. Des extraits sont consultables sur le site Le Projet Robinson. Un second hommage lui est rendu par le CN D à Pantin, en collaboration avec la Cinémathèque de la danse, le 30 octobre 2000.

[3Aux côtés de Laura Sheleen, cet événement réunissait notamment Jacqueline Robinson, Karin Waehner et Françoise et Dominique Dupuy. Laura Sheleen et Karin Waehner y interprétaient le duo Dumki sur une musique de Dvorak tandis que Jacqueline Robinson et Karin Waehner y présentaient Le Seuil. Voir : Jacqueline Robinson, "L’Atelier de la Danse 1955-1995...souvenirs", Paris, 1995, p.11.

[4Lise Brunel, "La Danse. "Une heureuse initiative pour la danse d’expression" in La danse, n°22, juin 1956.

[5Situé rue Henri Barbusse, le studio du Val de Grâce était un cinéma où Jacqueline Robinson louait une salle les jours de relâche. Voir Jacqueline Robinson, "L’Atelier de la Danse 1955-1995...souvenirs", Paris, 1995, p.8.

[6l’E.P.J.D. (Éducation Par le Jeu Dramatique) est une école de théâtre fondée à Paris en 1946 par Jean-Marie Conty (1904-1999) dans laquelle a enseigné Jacqueline Levant jusqu’à sa dissolution en 1952

[7Un d’archives consacré à Ludolf Schild est conservé à la Médiathèque du CN D.

[8Le fonds Pierre Tugal est conservé à la médiathèque du CN D

[9D’origine franco-américaine, Yvonne Redgis-Klug (1898-1972) reçoit une formation classique puis suit les cours de Loïe Fuller. En novembre 1935, elle donne une conférence-démonstration aux Archives internationales de la danse à laquelle participe plusieurs de ses élèves dont Jacqueline Robinson. Elle est déportée en 1944 à Auschwitz. Après la guerre, elle part vivre aux États-Unis où elle travaille pour Hollywood. Voir Jacqueline Robinson : "L’aventure de la danse moderne en France (1920-1970)", Paris. Bougé. 1990, p.78.

[10Fondé en 1954, par Dinah Maggie, l’A.F.R.E.C. - Théâtre d’essai de la danse, a, pendant des années, "joué le rôle de laboratoire et de vitrine pour des jeunes chorégraphes français et étrangers" selon Jacqueline Robinson : "L’aventure de la danse moderne en France (1920-1970)", Paris. Bougé. 1990, p.187.

[11Cet organisme, fondé en 1947 et dirigé par Jean Dorcy jusqu’à sa mort en 1978, avait pour but de "promouvoir et diffuser la danse dans les lieux les plus divers, et culturellement démunis, d’aider les jeunes danseurs et chorégraphes à se faire connaître" selon Jacqueline Robinson : L’aventure de la danse moderne en France (1920-1970), Paris. Bougé. 1990, p.183.

[12Elle-même raconte qu’elle logeait dans un hôtel de passe et travaillait comme modèle dans l’atelier du peintre Ossip Zadkine pour gagner sa vie. Faute de lieu, elle répétait dans une salle de boxe au milieu des sportifs...

[13Dominique Frétard, "Les "Signataires du 20 août" secouent la danse contemporaine" in Le Monde, 3 décembre 1999

[14En 2000, un fonds Jacqueline Robinson a été confié à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (IMEC)