Du tutu à l’académique, de la posture classique à la revendication néo-classique ?

Introduction

Table-ronde animée par Laetitia Basselier et Lucile Goupillon

Fondé en 1981 par Jacques Garnier, et dissout à la mort de ce dernier en 1989, le GRCOP (Groupe de recherche chorégraphique de l’Opéra de Paris) regroupe une douzaine de danseur·se·s volontaires de l’Opéra, qui se consacrent à la recherche en danse contemporaine. Le rôle du GRCOP est double : construire un répertoire chorégraphique contemporain, et favoriser la création chorégraphique en danse contemporaine.
Depuis la fin des années 1960, plusieurs expériences témoignent d’un « désir de contemporain » au sein du champ chorégraphique français, y compris de la part de danseurs venus du classique. Ces initiatives participent à l’institutionnalisation de la danse contemporaine en France. On citera, par exemple, la fondation du Ballet Théâtre Contemporain par Françoise Adret et Jean-Albert Cartier à Amiens en 1968 ; le Concours de Bagnolet en 1969 ; les débuts du Festival d’Automne à Paris en 1972, année où Brigitte Lefèvre et Jacques Garnier partent à La Rochelle fonder le Ballet-Théâtre du Silence ; la création du CNDC d’Angers en 1978 ; ou encore les débuts des Centres chorégraphiques nationaux à partir de 1984.
Cette institution académique et emblématique de la danse classique qu’est l’Opéra de Paris semble elle-même s’ouvrir à la danse moderne et contemporaine, en invitant des chorégraphes issus de la modern dance ou de la postmodern dance américaine (comme Merce Cunningham en 1973), ou en confiant le GRTOP (Groupe de recherches théâtrales de l’Opéra de Paris) à Carolyn Carlson en 1974. Plusieurs groupes expérimentaux sont créés dans le but de permettre aux danseurs de la compagnie de chorégraphier : en 1966, le Ballet-Studio par Michel Descombey ; en 1970, l’AJAC (Association des jeunes artistes chorégraphiques) par Serge Keuten.
De 1981 à 1989, le GRCOP, petit groupe constitué de danseurs et danseuses volontaires, se consacre donc à la danse contemporaine au sein de l’Opéra (les danseur·se·s pouvant réintégrer la troupe de l’Opéra s’ils et elles le souhaitent). Plusieurs étoiles sont aussi invitées à rejoindre le groupe à l’occasion des créations. Le GRCOP travaille aussi bien avec des chorégraphes américains (Karole Armitage, Lucinda Childs, Paul Taylor, Andy Degroat, Merce Cunningham, David Parson, David Ezralov, William Forsythe…) qu’avec la jeune danse française émergente (Philippe Découflé, Karine Saporta, François Verret…).
Si des jalons importants pour l’histoire de cette période ont été posés récemment par les travaux collectifs de Sylviane Pagès, Mélanie Papin et Guillaume Sintès (nous renvoyons notamment à Danser en mai 68, premiers éléments, Micadanses/Université Paris 8, 2014), l’histoire du GRCOP reste largement à faire. Elle soulève des enjeux aussi bien institutionnels que techniques et esthétiques, notamment sur la question qui nous intéresse ici, celle du néo-classique et de son rapport au contemporain. Afin d’en apprendre plus sur ce groupe, nous avons souhaité entendre quatre danseurs et danseuses qui ont pris part à cette aventure, qu’ils aient fait partie du GRCOP dès sa création, l’aient rejoint plus tard ou y aient dansé régulièrement.

Parmi les nombreuses discussions soulevées par cette table-ronde, nous retiendrons notamment les questions suivantes : que veut dire être un « danseur d’aujourd’hui » dans les années 1980 ? Qu’entend-on à cette époque par « néo-classique », et par « moderne » ou « contemporain » ? Comment se formule l’antagonisme entre danse classique et danse contemporaine, en particulier au sein de l’Opéra de Paris ? Mais aussi, quels rapports les danseurs du GRCOP entretenaient-ils avec leur formation classique, et comment celle-ci fut-elle (ou non) réinvestie par les chorégraphes invités ? Nourri·e·s par leur expérience au sein du GRCOP, les danseur·se·s invité·e·s à témoigner n’ont eu de cesse de questionner, tout au long de leur carrière, l’entraînement du danseur, les possibilités du corps classique, ou encore les processus de création chorégraphique.

Le GRCOP en 1985 dans Portraits de danseurs, chorégraphie d’Andy De Groat.
Médiathèque du CND - Fonds Jean-Marie Gourreau






Présentation des participants à la table-ronde

Florence Didier-Lambert suit une formation classique à l’École de danse de l’Opéra de Paris, ainsi qu’au Conservatoire national supérieur de Paris (Premier Prix en 1976), obtient une scholarship pour étudier à l’American Ballet Theater School à New York, à la School of American Ballet de George Balanchine et au Merce Cunningham Studio pendant quatre ans. De retour en France, elle intègre le GRCOP et rejoint ensuite le corps de ballet classique de l’Opéra. Elle collabore régulièrement avec le service culturel de l’Opéra de Paris dans le cadre des « Passeports pour la danse ». Elle réalise plusieurs documentaires, dont Vita Nova en 2008, portrait de Marcelin Pleynet, et publie régulièrement dans la revue L’Infini. Elle est professeure titulaire des conservatoires de la Ville de Paris en danse classique et culture chorégraphique.

Jean Guizerix est engagé à l’Opéra de Paris en 1964, et nommé danseur étoile en 1972. Il danse tout le grand répertoire classique de l’Opéra et prend part aux créations mondiales de nombreux chorégraphes. En 1986, il crée sa compagnie avec Wilfride Piollet, son épouse depuis 1971. Il signe plusieurs chorégraphies pour l’Opéra Bastille. Jean Guizerix enseigne de 1990 à 1998 au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et au Centre national des arts du cirque depuis 1997. Il est nommé au grade de l’ordre des arts et des lettres en 2001 et chevalier de la Légion d’honneur en 2012. Il est l’auteur du Moulin de Jerry et d’Aile jusqu’au bout m’aime chez Sens et Tonka.

Fabienne Ozanne-Paré s’est formée à l’École de danse de l’Opéra de Paris et est engagée au sein du ballet en 1971. Elle fait partie du GRCOP de 1981 à 1988. À la suite de deux formations en analyse fonctionnelle du corps dans le mouvement dansé (AFCMD) auprès d’Odile Rouquet et en cinétographie Laban auprès de Jacqueline Challet-Haas, elle poursuit une carrière de pédagogue en danse classique au sein de divers conservatoires à rayonnement régional. Elle est membre du conseil d’administration du Pôle d’enseignement supérieur–Paris–Boulogne-Billancourt.

Durant sa carrière au sein du ballet de l’Opéra de Paris de 1976 à 1990, Jean-Christophe Paré est nommé premier danseur en 1984 et participe aux créations du GRCOP. En 2000, il intègre le service de l’inspection et de l’évaluation de la Direction de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles du ministère de la Culture. En 2007, il prend la direction de l’École nationale supérieure de danse de Marseille, puis la direction des études chorégraphiques du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris de 2014 à 2018.