Cultures de l’oubli et citation : les danses d’après, II

Bonus : entretien avec Isabelle Launay

Le travail des circulations

J’espère avoir posé dans ces deux livres différentes notions permettant d’analyser des registres de reprises de danses très différents et que ce travail sera utile aux critiques, aux artistes, mais aussi aux théoriciens et aux historiens. Tout en me situant dans le champ de l’esthétique, je m’appuie entre autres sur les travaux des historiens. L’enjeu est que s’articulent ainsi deux histoires de la danse : celle produite par les historiens et celle qui est fabriquée par les artistes au sein même des œuvres, et qui m’anime davantage. Une alliance est possible entre ces deux types de savoirs : l’un, scientifique, qui s’attache à situer des œuvres dans un contexte historique précis, fait des œuvres des documents d’époque sur une culture et ses enjeux, en analyse les conditions de production ; l’autre qui relève d’une histoire beaucoup plus intempestive, qui cultive l’anachronisme et l’art des circulations. Dans Écran somnambule (2009 et 2012) et Witch Noises (2017), par exemple, Latifa Laâbissi met au jour des circulations transhistoriques et transnationales entre l’Allemagne, le Japon et la France, dans le champ de la danse, qui ont été retracées par ailleurs dans le livre de Sylviane Pagès sur la réception du butô en France. Les artistes peuvent ainsi incarner, voire annoncer, de manière extrêmement efficace ce qui se raconte et s’analyse dans l’historiographie. C’est toujours étonnant de voir comment des intuitions d’artistes peuvent parfois devenir des leçons d’histoire performées.